Modes de rémunération médicale


Table des matières










 


Introduction




On peut classer les modes possibles de rémunération médicale en 3 modèles : le paiement à l’acte et deux modèles forfaitarisés : la capitation et le salariat.

Plusieurs pays ont opté pour des modes de rémunération mixte qui associe un mode pour une action spécifique.

Chaque modalité et chaque mélange possède ses avantages et inconvénients. L’objectif de cette revue est d’appréhender ces dimensions.

Le paiement à l’acte (Fee for services)




En 1928 fut créé le premier syndicat médical français. Il définit cinq piliers de la profession dont le paiement à l’acte [1]. Dans l’approche d’une médecine libérale auquel les médecins belges sont attachés, être payé à l’acte est évidemment primordial. Ceci est confirmé par la dernière enquête du journal du médecin [2] qui rapporte que 83% des médecins belges considèrent que les médecins doivent être payés à l’acte.

En Belgique effectivement, le paiement à l’acte est prédominant et reste pour certaines spécialités médicales le mode unique de rémunération. La nomenclature belge a été créée en 1963 et a subi en moyenne plus de dix arrêtés de modifications par an depuis lors. Elle contient aujourd’hui plus de 11 000 Codes.

Ce mode de rémunération présente des avantages mais aussi des inconvénients que nous allons résumer ici :

Avantages :

-          Incitation à satisfaire les demandes des patients : c’est le système avec la plus haute satisfaction du patient [3] (la satisfaction patient est régulièrement associée avec le taux de contact médical qu’il vit et le nombre d’examens qu’il subit, pensant qu’on fait vraiment le maximum pour lui)

-          Rémunération adaptée à la charge de travail, particulièrement pour les patients complexes.

-          Haute accessibilité aux soins. Délais d’attente bas. Via :

o   Incitation à la productivité (plus d’acte par heure)

o   Incitation à allonger les horaires de travail

Inconvénients :

-          Surproduction de soins (demande induite) : Risque de générer des actes à valeur ajoutée faible à nulle [3] (voire négative : par exemple irradiation inutile). Cette surproduction augmente proportionnellement à la densité médicale [4] et est un incitant à resserrer le numerus clausus.

-          Aucune incitation à la prévention [5].

-          Du coté patient, encourage le nomadisme médical à savoir la possibilité de consulter deux médecins différents pour la même pathologie puisque le patient n’est pas captif.

-          Diminution du temps passé par acte au risque de moins bien le faire. Une étude de la DREES 2008 a montré qu’en augmentant le montant de la consultation de 20%, seul un tiers des praticiens augmenterait le temps qu’ils passent par patient.

-          Nomenclature complexe et parfois injuste en termes de cout/rémunération ou temps/rémunération.

-          Rémunération augmentée par les complications

-          Incertitude du montant à payer pour le patient et pour les autorités pour un épisode de soins.

-          Décourage la sous-traitance et la multidisciplinarité

Ce mode de rémunération est particulièrement adapté à la prise en charge des pathologies aigues et moins sur les chroniques. En effet, les maladies chroniques impliquent plus de prévention, plus de multidisciplinarité, plus d’éducation à l’autonomisation des patients. Les soins de santé évoluant de plus en plus vers une chronicisation des maladies anciennement rapidement mortelles, une évolution vers d’autre modes de rémunération s’est progressivement imposée depuis une trentaine d’année au sein des pays de l’OCDE.

En fait, ce mode de rémunération garde toute sa place dans les cas aigus complexes où par définition le résultat et les moyens à mettre en œuvre ne sont pas prévisibles au début des soins. C’est ainsi que les pathologies à haut niveau de sévérité sont quasi universellement couvertes à l’acte.   

Signalons que même ce mode de rémunération, dans le cadre des consultations par exemple, est une forme de forfait dans certains pays puisque la rémunération est identique de la consultation dure 15 ou 60 minutes.

Il existe quelques mécanismes de contrôle de la surproduction. Citons :

-          Le contrôle : en Allemagne, l’activité individuelle est examinée par les médecins des caisses.

-          L’incitation : au Québec, avec des tarifs dégressifs au-delà d’un seuil quantitatif d’actes, ce qui écrête les très fortes activités.

Une forme particulière : la rémunération à l’acte à enveloppe fermée (ou à point flottant)




Afin de de maintenir un système à l’acte en maitrisant le budget national, certains états (Allemagne dans les années 80, canada dans les années 70) ont imaginé un système à l’acte à enveloppe budgétaire fermée. Ceci signifie que chaque acte vaut des points et que la valeur du point est flottante selon le nombre de points réalisés par an. Ce mode de financement a entrainé une hausse de 5 à 10% des actes prestés par an ce qui a entrainé une demande unanime de retour en arrière de la part de tous les acteurs. Le problème dans ce système est la dilution de la responsabilité au sein d’un collectif très important. Individuellement, chaque médecin n’a aucune chance d’influer sur la valeur unitaire par un comportement vertueux, mais il a, au contraire, tout intérêt à surproduire des actes dans ce grand collectif afin de juste maintenir son niveau de rémunération.

La capitation




La capitation est un système de forfaitarisation soit lié à un patient soit lié à un épisode de soins spécifique de ce patient.

Au Royaume-Uni, comme dans les maisons médicales belges, pour recevoir des soins, un patient doit s’affilier annuellement à un médecin. Le médecin reçoit alors une somme annuelle globale quelque soit le nombre de contact que le médecin réalise avec ce patient.

Il existe en fait 2 formes de capitation :

-          La capitation par affiliation (trimestrielle/annuelle/…)

-          La capitation par épisode de soins aigu (per case payment)

La capitation par épisode de soins correspond à un forfait financier fourni pour un séjour hospitalier et les soins qui l’entourent. Un des pionniers dans ce mode est medicare qui utilise ce modèle depuis les années 80.

Les premiers forfaits dans la rémunération médicale belge ont été introduits en 1988 en biologie clinique puis, dix années plus tard, en imagerie. La médecine de première ligne est rémunérée entièrement de cette façon en ce qui concerne les maisons médicales. D’autres forfaits existent pour financer certaines activités comme la réalisation d’un dossier informatique, …

Avantages :

-          Aucun incitant à produire des actes peu utiles

-          Meilleure maitrise des couts par les patients et les autorités.

-          Incitation à satisfaire les besoins des patients pour les garder

-          Encourage fortement la prévention

-          Incitant à la productivité à prendre en charge un grand nombre de patients différents

-          Incite à la sous-traitance d’actes simples

-          Incite les médecins à collaborer et à organiser des pools financiers

-          Incite à réduire les durées de séjour [7](pour la capitation par épisode de soins)  

-          Libère du temps pour la formation continue, la recherche et l’enseignement

Inconvénients :

-          Négligence d’actes nécessaires (pouvant être compensée par des seuils minimaux exigés par les autorités)

-          Raccourcissement du temps passé par acte au risque de moins bien le faire : le temps moyen d’une consultation de médecine générale en Grande Bretagne après le passage à la capitation est désormais de 8 minutes [8]

-          Report des soins vers les spécialistes (pour la capitation des généralistes) [9]

-          Risque de reporter les soins vers les confrères plutôt que de le faire soi même (par épisode de soins), parfois moins qualifiés (assistants, …)

-          Pas d’incitant à la productivité pour un même patient

-          Perte d’universalité d’accès aux soins : exclusion des patients à risque (phénomène appelé creaming dans la littérature). Ce risque est souvent décrit mais n’a pas encore pu être démontré dans la littérature.  

-          Risque de sous-traiter des actes trop complexes

-          Incitation à sur-satisfaire le patient pour le garder (certificat de complaisance, prescription de médicaments inutiles, …)

Une autre variante particulière : le Managed Care




Ici, l’état finance un groupement de médecins généraliste d’une région particulière. Cette forme de financement existe depuis les années 90 au Royaume-Uni et aux USA (Accountable Care Organization). Dans ce modèle, le groupe développe une infrastructure propre de gestion et décide de l’allocation des moyens entre prestataires. En Grande-Bretagne, ce budget inclut même les hospitalisations et les médicaments.

Contrairement à la variante précédente, la proximité et la petite taille de la structure de gestion permet une responsabilisation directe des acteurs. A contrario, la taille est suffisante pour pouvoir produire des tableaux de bord de gestion et voir les effets des décisions. De plus, les médecins sont alors décideurs de soins ce qui permet de placer l’individu le plus compétent pour arbitrer des choix selon l’éthique et la qualité des soins.

En France, certaines structures de pôles hospitalier ont intégré une logique de budget médico-infirmière complète et tendent vers ce type de modèle décentralisé.

Le salariat




Le salariat est un système de forfaitarisation où le salaire est corrélé au volume d’heures presté, indépendamment du nombre de patients pris en charge.

Avantages :

-          Aucun incitant à produire des actes peu utiles

-          Meilleure maitrise des couts par les patients et les autorités.

-          Encourage fortement la prévention

-          Encourage la multidisciplinarité et le travail d’équipe

-          Encourage les médecins à s’occuper des parties administratives, d’éducation et de recherche de leur métier.

-          Libère du temps pour la formation continue, la recherche et l’enseignement

-          Réduit la complexité administrative de la facturation

-          Réduit les inégalités entre spécialisations

Inconvénients :

-          Négligence d’actes nécessaires (skimping)

-          Risque de reporter les soins vers les spécialistes (pour la capitation des généralistes)

-          Risque de reporter les soins vers les confrères (dumping) plutôt que de le faire soi-même (par épisode de soins), parfois moins qualifiés (assistants, …)

-          Réduction de la productivité horaire (risque de files d’attentes) [10] : En 2001, les Pays-Bas ont constaté que les couts d’allongement d’incapacité de travail de la population lié au passage vers le salariat médical avaient largement dépassé les bénéfices attendus.

-          Incite à exclure les patients à risque

-          Pas d’Incitation à satisfaire les besoins des patients

Mixage des modalités




On commencera par citer James C. Robinson [11]  qui affirme que les 3 modes de rémunération décrits sont les pires imaginables. L’idée sous-jacente est que la solution idéale se trouve probablement dans un panachage des modes afin de tirer le meilleur des 3 modes et d’effacer les inconvénients. Notons, que mal mélangé, on peut arriver au résultat contraire…

Ainsi, l’ensemble des pays de l’OCDE ont adopté des systèmes mixtes tantôt majoritairement à l’acte (USA, France, Belgique, Canada), tantôt majoritairement à la capitation (UK, Pays-Bas, Allemagne). Et ces mélanges semblent obtenir des meilleurs résultats en termes d’efficience que les modes simples. Même si toutefois, on retrouve de nombreuses études contradictoires dans la littérature lorsqu’il s’agit d’analyser le bienfait d’un mode par rapport à l’autre.

Un exemple intéressant de paiement mixte est celui des généralistes anglais [12], dont la rémunération comprend :

 • Une allocation de base destinée à prendre en charge une fraction des coûts de fonctionnement, sous forme d’un forfait par patient dégressif en fonction du nombre de patients. Une allocation supplémentaire compense les surcoûts liés à l’exercice en région rurale. Des majorations sont également versées en fonction de l’expérience acquise par le médecin (honoraires dits « de séniorité »).

• Une capitation par patient inscrit sur la liste du généraliste, variable selon des critères pré-définis (age, statut social, …)

• Des paiements à l’acte pour les visites de nuit, les vaccinations, les consultations en urgence pour des patients de confrères, la petite chirurgie, ainsi que pour certains actes que l’état veut promouvoir (vaccination, …).

 • et enfin, l’ajout d’un paiement à la qualité (Pay 4 Quality ou P4Q), pour le dépistage du cancer et certaines vaccinations.



Un additif : Payment for Quality (P4Q)




Démarré au cours des années 2000 en Grande Bretagne (programme QOF) et aux USA (programme Medicare puis Provencare), le paiement à la qualité a été lancé sous forme de bonus liés à l’atteinte d’objectifs sur des indicateurs de qualité. Depuis lors, cet incitant s’est généralisé dans l’OCDE en complément aux systèmes de rémunération mixte.

En effet, quel que soit le mode de rémunération, il y a peu d’incitant à la qualité. En caricaturant, un patient qui décède rapidement aura une faible durée de séjour hospitalière et des couts moins élevés qu’un patient qui complique mais qui survit. Il semble donc cohérent d’ajouter un incitatif qualité. Toutefois, les études actuelles n’ont pu démontrer qu’un effet modeste sur l’amélioration de qualité [13].

Certains économistes plaident pour une rémunération exclusivement basée sur les résultats qualitatifs. Cependant, mal utilisé, ce financement peut devenir un outil de réduction des coûts au lieu d’en être un outil d’amélioration de la performance. Il n’est donc pas la panacée non plus.

Par ailleurs la performance qualitative est multifactorielle : capacité d’adaptation, efficience, accessibilité, pertinence, continuité, … :  il est ainsi quasi impossible de pouvoir lier un investissement financier avec une analyse de l’ensemble de ces facteurs, d’autant qu’il est courant dans ces systèmes de voir une baisse de qualité dans les dimensions qui ne sont pas mesurées.



Incitants non financiers d’amélioration de la qualité




Les études observationnelles ont montré que le mode de rémunération est un des 3 facteurs qui influence le plus le choix d’actes qu’un médecin réalise face à une pathologie. Ce qui semble plus difficile à démontrer est l’adéquation de ces choix d’actes par rapport au meilleur soin possible. Probablement parce que la définition du meilleur soin possible reste souvent sujette à discussion.

Les deux autres facteurs principaux sont les principes éthiques et le les recommandations de bonne pratique ce qui est plutôt logique et rassurant. Ouf… 




Références




[1]
P. Hassenteufel, Les médecins face à l'état, Paris: Presses de sciences Po, 1997.
[2]
V. Claes, «Qui est vous docteur ? 5° édition,» Le journal du médecin, vol. dec, p. suppl., 2018.
[3]
D. Culter et S. Reber, «Paying for Health Insurance: The Trade-Off between Competition and Adverse Selection,» The quaterly journal of economics - Oxford Academic, pp. 433-66, may 1998.
[4]
D. B. Delattre E, «a régulation de la médecine ambulatoire en France : quel effet sur le comportement des médecins libéraux ?,» Solidarité Santé, pp. 135-161, 2003.
[5]
A. W. P. J. Hickson GB, «Physician reimbursement by salary or fee-for-service: effect on physician practice behavior in a randomized prospective study.,» Pediatrics, vol. 80, n° %13, pp. 344-50, 1987.
[6]
B. Majnoni D'Intignano, «La performance qualitative du système de santé français,» chez Régulation du système de santé - rapport du conseil d'analyse économique, 1999.
[7]
A. R. A. B. Forsberg E, «Financial incentives in health care. The impact of performance-based reimbursement,» Health Policy, pp. 342-62, dec 2001.
[8]
S. Sandier, «Le paiement des médecins dans quelques pays de l’OCDE, dans Les systèmes de santé, A la recherche d’efficacité,» OCDE, Paris, 1990.
[9]
A. P. G. e. P.-A. P. Krasnik, «Changing remuneration system: Effects on activity in general practice,» British Medical Journal, vol. 300, pp. 1698-1701, 1990.
[10]
F. F. K. I. S. M. L. B. G. A. S. M. P. L. Gosden T, «Impact of payment method on behaviour of primary care physicians: a systematic review,» J Health Serv Res Policy., vol. 6, n° %1jan, pp. 44-55, 2001.
[11]
R. JC, «Theory and practice in the design of physician payment incentives,» Milbank Q, pp. 149-77, 2001.
[12]
«http://www.nhs.uk/redbook/2.htm,» [En ligne].
[13]
A. V. Deprez M, «Mode de rémunération des médecins,» Economie et prévision, vol. 188, pp. 131-139, 2009.




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